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On ne peut plus parler des étrangers comme dans les années 30
 
par Gilles Wallon, entretien de Gérard Noiriel (lesinrocks.com, 19/12/2009)
 

Quel bilan faites-vous du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, deux ans et demi après sa création ?
En 2007, à l'annonce de la création de ce ministère, nous avons été un groupe de huit historiens à démissionner du conseil scientifique de la Cité de l'immigration. Dans l'histoire de la France, le discours sur l'identité nationale a toujours servi à stigmatiser l'étranger. A l'époque, Brice Hortefeux nous a reproché de lui faire un procès d'intention : le ministère n'avait encore rien mis en place. Mais force est de constater que nos craintes se sont réalisées. Il multiplie les expulsions, place des enfants en centres de rétention; on crée un délit de solidarité... La France a été la première nation à proclamer un droit d'asile. Tout un pan de son histoire est foulé aux pieds.

Ce nouveau ministère marque-t-il une rupture avec ce qui se faisait précédemment ?
Plutôt une radicalisation. Les lois Pasqua avaient déjà sonné la charge d'une nouvelle politique national-sécuritaire, mais la création de ce nouveau ministère l'a rendu beaucoup plus efficace. Maintenant, toutes les administrations en lien avec l'immigration sont mises sous la tutelle d'un ministère unique. C'est particulièrement grave dans le cas des demandeurs d'asile. Sous Vichy, le ministère de l'Intérieur avait livré des réfugiés aux nazis. C'est pour cela qu'après la guerre, la question du droit d'asile a été confiée au ministère des Affaires étrangères. Parallèlement, les naturalisations à la carte, préfecture par préfecture, risquent de casser le principe d'égalité.

Le lancement du débat sur l'identité nationale peut-il amener à des dérives supplémentaires ?
Nous récusons l'idée qu'Eric Besson aurait "lancé" ce débat. Il s'agit plutôt de la réactivation d'une dérive nationaliste. L'expression "identité nationale" a été mise en circulation par le Front national dans les années 1980. En soi, cette expression n'est pas un gros mot, mais dans le cas français, elle a des connotations politiques xénophobes car elle a toujours été liée à un rejet de l'immigration. En 2007, le ministère de l'Immigration a été créé pour transférer dans la majorité une partie des électeurs FN.

Pourquoi le débat s'est-il vite recentré sur la question de l'islam ?
Il n'est pas possible de définir son identité sans montrer du doigt ceux qui n'en font pas partie. C'est le "eux et nous". Parler d'identité nationale, c'est désigner l'autre, l'étranger. Après l'anarchiste italien au début du XXe siècle ou le communiste russe dans les années 1930, c'est l'image du musulman terroriste qui prime. On ne peut plus parler des étrangers comme on le faisait dans les années 1930. Le but de ce "débat national", c'est de familiariser les Français avec les références qu'hier on jugeait choquantes. Dans les années 1980, ma génération était effarée par les relents pétainistes du discours de Le Pen. Depuis, le processus d'accoutumance a fait son travail. On cherche à nous habituer à des mots contraires aux valeurs des droits de l'homme.

A cela s'ajoute la dénonciation des "mariages gris" par Eric Besson, ou le débat sur le port de la burqa. Pourquoi se focaliser sur des pratiques ultraminoritaires ?
Tout cela arrive en même temps, ce n'est pas un hasard. J'y vois une "fait-diversification" de la politique : prendre des cas exceptionnels et les considérer comme significatifs pour stigmatiser toute une communauté. Et ce ministère conforte ces associations d'idées.

Avec cette thématique identitaire, Nicolas Sarkozy voulait séduire les catégories populaires. Pourquoi ce calcul ?
A la fin du XIXe siècle, les privilégiés se sont servis du nationalisme pour casser une logique de classe. Il y a toujours eu une fraction ouvrière sensible au discours de la fierté nationale – surtout chez les ouvriers en voie de déclassement. En difficulté sur le plan économique, et après avoir réaffirmé qu'il ne toucherait pas au bouclier fiscal, Nicolas Sarkozy a tout intérêt à parler d'autre chose. Il met donc l'accent sur la thématique sécuritaire. Mais la question sociale remonte. Aujourd'hui, il est difficile de faire croire à l'électorat que le problème principal, c'est l'identité nationale. Cela avait marché dans les années 1930, à la veille d'une guerre mondiale, mais nous vivons aujourd'hui la plus longue période de paix qu'ait connue le pays depuis des siècles. C'est pourquoi le discours sécuritaire s'est déplacé de l'armée à la police. La glorification de l'action contre la délinquance a remplacé celle de l'action guerrière – avec, en filigrane, l'idée que ce sont les musulmans qui "foutent la merde" en banlieue.

Faut-il refuser le débat, comme le demande la pétition "Nous ne débattrons pas" lancée sur le site Mediapart (36 000 signatures à ce jour) ?
Ce débat est une coquille vide, il est fait pour amuser la galerie. On ne peut débattre dans le cadre proposé par Eric Besson. Son site censure certaines participations et en détourne d'autres en ne reprenant que quelques phrases. C'est une dérive scandaleuse de la conception de débat. Notre collectif souhaite déplacer le débat sur nos questions. Dont celle-ci : à quoi sert ce ministère ? Nous allons interroger tous les partis politiques : il faut qu'ils se situent clairement. Nous publierons leurs réponses prochainement.

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